Suite de notre série "engagé autrement". A 30 ans, Chloé Bourguignon est à la fois secrétaire générale de l'union régionale Grand Est de l'Unsa et vice-présidente d'Oxfam France, une ONG spécialisée dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Interview.

Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
"J'ai fait Sciences Po Strasbourg. J'ai passé du temps au Canada pour obtenir un diplôme franco-canadien. Lors de mon stage au consulat de France à Toronto, mon travail consistait à aider les Français qui arrivaient sur place à trouver du travail. Pour initier un réseau, ce qui est crucial dans le monde anglo-saxon pour avoir des opportunités professionnelles, je leur conseillais de faire du bénévolat dans le milieu associatif.

Oxfam proposait de nombreuses missions, avec un vrai parcours d'accueil des personnes et d'engagement. A force d'envoyer des gens et de voir des sujets qui m'intéressaient faire l'objet de missions (solidarité, inégalités, etc.) le tout avec des événements qui avaient l'air assez festifs, j'ai eu envie d'aller voir moi-même ce qui se passait. Et comme dans le campus où j'étudiais un groupe d'Oxfam se créait, car là-bas les étudiants sont plus actifs qu'ici sur le plan associatif, je les ai rejoints. Oxfam est une ONG "à 360 degrés", qui s'intéresse aux causes structurelles de la pauvreté et des inégalités (*). S'y engager est très intéressant car beaucoup d'activités sont développées.
Je suis fonctionnaire territorial, j'ai eu mon concours d'attaché territorial en 2012. Mes camarades de promotion gagnent beaucoup plus dans le privé. Mais travailler dans la fonction publique était pour moi un choix, celui d'être au service de l'intérêt général.

Lorsque je suis rentrée dans la vie professionnelle, j'avais des amis qui effectuaient leur service civique pour un syndicat, l'Unsa, sur une mission qui s'appelait : "Ensemble, construisons la démocratie au travail". Je n'avais pas pensé au syndicalisme, même si cela n'était pas étranger dans ma famille. Mais ce groupe conduisait des actions sympathiques, ça me parlait. J'ai rejoint le groupe jeunes de l'Unsa dans mon département (Bas-Rhin) et, quand j'ai trouvé un poste, je me suis syndiquée à l'Unsa de mon administration. J'ai travaillé sept ans à la Ville et Eurométropole de Strasbourg -je faisais de la gestion de projets- et je suis depuis septembre 2018 en poste à la Région Grand Est. Depuis février, je suis secrétaire de l'union régionale Grand Est.
Ce n'est pas forcément courant dans le monde syndical "classique" mais justement, à l'Unsa, on ne fait pas les choses comme tout le monde. Nous avons la chance d'avoir une structure et un fonctionnement qui permettent à des personnes qui ont envie de prendre des responsabilités, et notamment des femmes, de pouvoir le faire, avec une équipe nationale qui impulse cette dynamique. Depuis que je suis à l'Unsa, j'ai pu me former, j'ai pu m'investir dans l'interprofessionnel. Et quand la perspective du départ à la retraite du secrétaire général Xavier Ulrich s'est approchée, l'équipe régionale s'est demandée qui serait en mesure de lui succéder. L'idée de trouver des personnes jeunes pour redynamiser la structure est venue assez vite, cela a été un choix des militants. J'étais volontaire mais c'est un vrai travail collectif pour constituer une équipe, j'ai été soutenue, à la fois au niveau local et national.
Nous avons 20 000 adhérents. Nous sommes très implantés dans la fonction publique d'Etat et nous nous développons dans plusieurs secteurs du privé. Dans les endroits où il y a du dialogue, il y a de la place pour un syndicalisme réformiste, lorsque l'Unsa présente une liste, nous faisons des très bon scores. Nous avons récemment gagné notre représentativité chez Arcelor Mittal, nous nous renforçons au niveau régional chez Lidl, nous avons fait de bons scores chez PSA, notamment à Charleville-Mézières, mais aussi à la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, etc.
Je suis fonctionnaire, j'ai une formation d'administration publique, mais je suis entrée à l'Unsa par la porte interprofessionnelle, dans un groupe jeunes. L'un de nos premiers travaux consistait à réfléchir à la façon dont un syndicat peut se renouveler, et accueillir des personnes jeunes, et cette problématique concerne aussi bien le public que le privé.

Au quotidien, pour accompagner nos militants et nos adhérents, il faut bien sûr se former, se mettre à jour de tous les changements comme le CSE, être en veille sur la jurisprudence, etc. Tout cela serait impossible si je ne pouvais pas m''appuyer sur une l'équipe régionale très solide. J'ai la chance d'être très bien entourée : nous sommes 9 dans l'équipe du secrétariat régional, et 40 au bureau régional, avec des compétences très complémentaires. Dans l'union régionale, nous avons aussi une salariée en charge de tous les aspects juridiques.
Il y a peu de syndiqués en France, et encore moins chez les jeunes. Il y a un tournant que la plupart des syndicats n'ont pas pris. Le problème n'est pas que les jeunes n'aiment pas les syndicats. C'est aux syndicats de se transformer pour devenir attractifs aux yeux des jeunes, d'être en mesure de leur parler, afin de les faire adhérer ensuite, et sans renier ce que nous sommes.

Par ailleurs, dans le monde associatif, il n'y a pas de crise de vocations, pas moins d'engagements : les jeunes trouvent des structures collectives dans lesquelles ils s'investissent, mais pas comme il y a 30 ans. Les engagements se font moins sur le long terme. C'est intéressant d'observer comment ça fonctionne dans les secteurs où il n'y a pas de souci de recrutement pour s'en inspirer dans le syndicalisme.
Oxfam France est l'un des plus petits des 19 pays affiliés de la confédération Oxfam, qui compte 7 000 salariés dans le monde. En France, l'ONG a 49 salariés, plusieurs centaines de bénévoles, et elle développe des groupes locaux et des magasins solidaires. Oxfam rédige des rapports, des études, l'ONG effectue un vrai travail de "plaidoyer" et de mobilisation citoyenne, sur les urgences humanitaires et sur le développement, pour sensibiliser les citoyens en leur redonnant un pouvoir d'agir.
Il s'agit d'utiliser les ressources que nous avons en France pour accompagner nos partenaires dans les pays du Sud dans le but de faire changer les politiques et faire en sorte que les inégalités se réduisent.
J'ai pris cette responsabilité après avoir été coordinatrice du groupe Oxfam de Strasbourg, qui compte une dizaine de personnes. Mon travail consistait à amener le groupe à organiser des actions, des événements, à s'approprier les rapports de l'organisation, etc. Cela veut dire organiser des stands dans des salons, préparer des conférences au sein de collectifs, monter des projections de films, etc. Je vais mettre à profit cette expérience de terrain au service de tout le territoire.

Comme vice-présidente, mon travail est d'accompagner la stratégie de l'association pour développer le bénévolat au niveau local et faire en sorte que l'association puisse s'appuyer sur une base citoyenne forte. Nous avons par exemple accompagné l'intégration dans l'association de 5 magasins solidaires, qui étaient auparavant sous forme d'Eurl. Nous avons mené tout un travail collectif, accompagnés par une coopérative, pour réfléchir à l'avenir de ces magasins. Je suis allée dans chaque magasin, j'ai rencontré les salariés et les bénévoles, j'ai participé à des comités de pilotage pour faire émerger des propositions collectives qui soient solides.
Des personnes nous donnent des vêtements, des livres, des objets -selon l'activité du magasin- qui sont triés et valorisés par des équipes de bénévoles puis revendus à un tarif solidaire. Le but est de proposer des prix accessibles pour les personnes qui n'ont pas beaucoup d'argent, mais c'est aussi une façon de donner une seconde vie à des objets, cela participe à la réduction des déchets. Ces magasins, qui sont aussi des lieux de lien social, servent à financer les activités de l'association.
Mon engagement chez Oxfam est intégralement bénévole.
Il n'y a pas de baguette magique ni de solution miracle. Certaines organisations syndicales peuvent être très rigides, très hiérarchiques, et finalement assez hermétiques à une implication davantage "spontanée" et moins continue des personnes.

Il y a parfois encore cette idée qu'il faut gravir peu à peu les échelons avant d'atteindre un certain niveau dans le syndicalisme, ce qui est dissuasif pour les femmes qui, à la trentaine, s'occupent encore beaucoup des enfants vu l'inégalité du partage des tâches ménagères. Ce peut être un vrai frein à leur engagement. De nombreuses structures associatives sont plus souples dans leur fonctionnement et ont su accueillir des profils très différents
Ce qui me semble intéressant à Oxfam, notamment dans le développement du réseau territorial, c'est le fort niveau d'autonomie laissé aux groupes, ce qui favorise l'émergence d'idées et d'initiatives, le siège étant là en soutien avec des services. Il n'y a pas un groupe local d'Oxfam qui fonctionne comme un autre. Certains interviennent beaucoup auprès des jeunes, dans les universités, dans une forme d'éducation populaire; d'autres vont plutôt opter pour des stands, etc. Cette autonomie doublée d'une offre de services de soutien aux militants est aussi en train d'être mise en place à l'Unsa. L'autonomie fait d'ailleurs partie de l'identité de l'Unsa, mais nous la renforçons grâce à la plateforme nationale de services aux adhérents (juridique, communication, informations, etc.), qui peuvent appeler ou consulter le site web pour trouver des ressources.
Ma vision est influencée par ce qui se passe à l'étranger, je crois que nous pouvons beaucoup apprendre de ce qui se fait ailleurs. Je suis engagée dans des structures très actives au niveau international, que ce soit l'Unsa ou Oxfam. L'Unsa est très présente dans la confédération européenne des syndicats (CES). Je suis d'ailleurs en train de terminer une formation de 10 semaines montée par l'organisation internationale du travail (OIT), et qui s'appelle : "Leadership des jeunes femmes clé pour l'autonomisation des sydicats dans le monde du travail". Dans le groupe francophone, nous sommes une trentaine. C'est bien que les syndicats reconnaissent qu'il ne doit pas y avoir que des hommes blancs dans les structures syndicales. Plus il y a de la diversité à la tête des structures, plus nos décisions seront en phase avec l'intérêt de la société.
C'est intéressant d'échanger nos expériences. Cette formation aborde notamment l'articulation entre les normes de l'OIT, les textes européens, et nos réalités locales. Nous voyons bien que nous avons besoin de normes internationales ambitieuses afin de négocier localement des dispositions encore meilleures.

Regarder ce qui se passe ailleurs, cela me permet aussi de ne pas sombrer dans un fatalisme un peu dépressif, qu'on peut éprouver en restant dans une vision franco-française. Au niveau mondial, les inégalités ne se réduisent pas, mais l'extrême pauvreté, si ! Il n'y a pas de fatalité, il y a décisions prises qui résultent de choix politiques. Le fait de s'organiser dans des associations et des syndicats nous permet de peser collectivement pour construire des choix politiques alternatifs, et faire des propositions pour construire autrement la société. Aujourd'hui, il y a une montée du populisme, moins d'échanges avec les corps intermédiaires dans la prise de décisions publiques, mais je crois dans le progrès, dans la transformation sociale, dans les corps intermédiaires. La société est aujourd'hui construite par des choix politiques, économiques et sociaux, et nous avons à nous exprimer, à chercher à peser sur ces choix. La question de la citoyenneté et du pouvoir d'agir se construit à tous les niveaux, dans notre entreprise, notre administration, dans notre environnement quotidien, au niveau local et national.
Dans ma génération, on nous renvoie beaucoup l'idée que le syndicalisme serait un sacerdoce : rentrer dans des responsabilités syndicales, ce serait ne faire plus que ça, ne plus avoir de vie. Des militants racontent qu'ils ont dû divorcé, que leurs enfants sont fâchés contre eux car ils n'étaient jamais à la maison, etc. Moi, je ne suis pas dans cet état d'esprit, je ne veux pas autant sacrifier de choses personnelles.

Mon but n'est pas d'atteindre un très haut niveau de responsabilités, mais plutôt d'essayer d'être au bon endroit par rapport à mes compétences et à mon réseau pour que cela soit à la fois enrichissant pour moi et utile pour la structure. L'échelle régionale me convient très bien, cela me permet de continuer à vivre avec ma famille à Strasbourg. J'aime être fonctionnaire territorial et j'envisage complètement de revenir travailler dans l'administration à l'issue de mon mandat. Je ne vois pas le syndicalisme comme une carrière. Vu l'état du dialogue social et les réformes qui se profilent, dans le public ou le privé, ce serait de toute façon très imprudent d'envisager toute une carrière syndicale. Nous sommes d'abord au service des adhérents et dans quatre ans, la situation aura sans doute beaucoup changé.
La musique ! J'aime beaucoup chanter. A chaque fois que j'arrive dans un nouvel endroit, je cherche une chorale. J'appartiens à des ensembles qui chantent de la musique classique ou ancienne, mais j'aime aussi la variété. En octobre, l'ensemble vocal Motus, dans lequel je chante à Strasbourg, va faire plusieurs concerts avec du Bach au programme".
(*) Association loi 1901, Oxfam France est l'une 20 affiliées qui composent "la confédération" de l'ONG, qui se donne pour mission "d'agir contre les causes structurelles des inégalités et de la pauvreté". Depuis 1988, elle mène des campagnes de "mobilisation citoyenne et de pression sur les responsables politiques et économiques depuis 1988", et "soutient des actions humanitaires d’urgence et des projets de développement de la confédération internationale Oxfam, en collaboration avec des partenaires locaux et des alliés dans le monde entier".
► Lire notre précédent article de la série "Engagé autrement" : Jean-Paul Vouiller : "Le délégué social, un rôle formidable pour les représentants de proximité"
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